lundi 5 octobre 2009

La tentation solitaire

J'ouvre cette page un samedi 3 octobre 2009, à bord d'Elixence, mon voilier. Je suis seul à bord et si cela peut paraître assez banal pour bien des marins chevronnés, pour moi c'est déjà comme une petite victoire...sur moi-même.
Pour la première fois je suis parti en solitaire pour un week-end, sans aucun autre équiper. Etre seul sur un voilier habitable – mon arpège fait 9 mètres 20 de long - suppose une certaine assurance de soi-même pour mener à bien toutes les tâches qui sont nécessaires pour faire naviguer correctement et sans risque ce genre d'engin.
Mais j'en ai rêvé, depuis longtemps, à travers les écrits de voyages et d'aventures de marins, et depuis toutes ces années où j'ai découvert la voile puis navigué mais toujours avec quelqu'un avec moi, que j'ai fini par me persuader que cette fois-ci je n'avais plus aucune raison de reculer éternellement cette décision. J'ai repensé à ce vieil homme qui était venu discuter avec moi un jour sur le ponton du port et m'avait dit en parlant de mon bateau «si vous saviez ce que je vous envie, monsieur» et puis au fil de la discussion avait ajouté «il ne faut pas attendre, le temps passe vite et la vie est courte, il faut faire les choses».

Alors voilà, j'ai franchi le reste d'appréhension qui me restait et je me suis lancé. Tout est différent quand on est seul, plus question de demander quoi que ce soit à quelqu'un et pourtant dieu sait qu'il y en a des choses à faire, des réglages à assurer tout en gardant le bateau sur sa route de manière sécurisée. Il faut avoir une vision globale, les sens en éveil....mais il y a une sorte de fascination qui s'installe quand, éloigné du port, en pleine mer, on se dit «ça y est», conscient qu’on vient de se lancer seul dans un espace qui n’a rien d’une promenade dans une galerie commerciale, qui peut être un pur moment de bonheur tranquille ou une sérieuse bagarre avec des éléments parmi lesquels il faut se faire accepter, quitte à faire le dos rond parfois.
Pour cette première, tout s'est bien passé, j'ai pu cependant remarquer les limites de mon pilote automatique quand le vent monte un peu vers force 5 avec un cap «au près bon plein» et que le bateau est bien gîté. Cela me renforce dans mon idée qu'un régulateur l'allure serait une bonne solution. Cet appareil qui s'installe sur le tableau arrière du bateau fonctionne comme un pilote automatique mais qui barre «au vent» et non pas «au cap» comme un pilote automatique électronique.
Et puis ce qui m'intéresse dans cet appareil qui permet au bateau de tenir un cap au vent est que l'énergie qu'il utilise est ... le vent! Donc pas de problème de gestion de batterie, et c'est déjà un point notable. Bien des bateaux de grands voyageurs équipés de régulateur d'allure ont rendu de fiers services à leurs propriétaires, à commencer par l'illustre Bernard Moitessier qui écrit dans «la longue route» avoir fait son tour du monde ( ..et demi..) sans quasiment jamais avoir barré grâce à cet appareillage.
Pour le moment, le régulateur attendra, ce n'est pas donné..et puis n'exagérons rien, je n'en suis pas - encore - au grand voyage ( pas encore...).
Ces considérations sont importantes malgré tout, car sans équipier ni aucun substitut capable de tenir la barre à sa propre place, les diverses manœuvres sont quasi impossibles à réaliser, et en tout cas de manière sécurisée. Donc pilote à poste, puis vigilance sur la consommation des batteries pour ne pas se retrouver en panne de démarrage moteur, reprise de la barre en manuel autant que possible...on a finalement peu de vrai moment de repos, ou alors tout ceci viendra avec le temps, avec l'habitude.
Le solitaire a quelque chose de différent, je voulais m'assurer que ça irait: naviguer, mais sans personne, seul en mer, seul à gérer ses manœuvres, sa route, son atterrissage, sans l'apéro festif le soir au mouillage avec les copains, sans tout ce côté convivial qui constitue les sorties en mer bien souvent, le temps s'écoule de manière différente.
Coté sécurité, il faut là aussi se préparer, j’avais mis le gilet gonflable et préparé la longe de harnais prête à crocheter pour les manœuvres sur le pont, à l’avant ou en pied de mât. Une chute à l’eau qui plus est avec un bateau réglé sous pilote automatique serait fatale, et une chute, c’est toujours et par définition imprévu et bien souvent pour des raisons idiotes ou banales.
On n'entre pas dans la quatrième dimension sans un minimum de préparation, ou alors certains le font, à l'arrache, culottés ou imprudents, des qui ont l'âme des vrais bourlingueurs, ça passe ou ça casse. Moi pas, il me fallait tout ce temps d'incubation, j'avais besoin de me sentir prêt, et cette fois ci je viens pour ainsi dire tout juste d'entrouvrir la porte de cette quatrième dimension convaincu désormais d'avoir envie d'aller y voir un peu plus loin. Tout devient possible désormais, même ce qui n'était que du domaine du rêve il y a encore peu de temps.

"...Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais..." écrivait Baudelaire dans "Le voyage".
Quand le rêve devient de plus en plus fort au point qu’il se transforme en un désir prégnant, la réalisation n’est plus très loin, ne manquent plus alors que quelques ingrédients qui peuvent être teintés, selon le cas, d’un peu de courage - sur soi-même il en faut, souvent - d’un zeste de ténacité, parfois d’une légère pincée d’inconscience - chez certains - et puis n’oublions pas quelques mécanismes du hasard, appelons les comme cela, qui servent de déclencheur final - mon vieux visiteur impromptu venu dans le port me parler du temps qui va trop vite, par exemple – en fut un certainement.

Cette première expérience du solo a été une vraie réussite, je dirais bien un enchantement mais cependant dans un état de bonheur très serein, comme une découverte de quelque chose qui m’attendait depuis longtemps, avec au final l’envie de me dire tout simplement « voilà, c’est fait, t’as mis le temps mais cette fois-ci tu y es».







Alone - Huile sur Toile - Dominique.Trutet

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