lundi 5 octobre 2009

Traversée

Traversée

Traverser l’océan, pour tourner une page,
Se retourner juste de temps en temps
Pour regarder le sillage s’échapper de la jupe,
Et voir la grande houle emporter avec elle
Les rancoeurs du passé et les mélancolies,
Pour mieux les engloutir dans les gouffres salés

Traverser tout devant, avec une seule préoccupation
Qui relègue toutes les autres au rang d’accessoire:
Faire marcher le bateau, rien d’autre.
Entre l’arrière qui fuit et l’avant qui appelle,
Etre dans le présent constamment, à dix mille pour cent,
A négocier la risée qui fait lofer le bateau
A abattre légèrement pour éviter la claque
De la déferlante qui arrive par le travers
Comme si elle voulait nous donner la fessée.

Le présent devient permanent, immuable
Il parvient à stopper les aiguilles de la montre.
Chaque quart de nuit solitaire offre une bénédiction,
Un cadeau du Grand Maître Horloger
Qui dit « vas y, goûte ce présent que je t’offre,
Deviens éternel pendant quelques instants ».

Sous la cathédrale cosmique, les constellations invitent
Leurs éphémères cousines, les étoiles filantes,
Comme si elles craignaient que l’on s’ennuie de leur immobilité.
Orion a sorti son épée et nous montre Sirius qui luit entre toutes
Zzzzz, Plein ouest ! Une étoile filante a déchiré le ciel
Depuis le zénith jusqu’à l’horizon,
Comme l’éclat isolé d’un feu d’artifice,
En plein dans le cap du voilier, façon élégante de dire
« Viens, c’est par là, suis moi ! »

Et la mer en nocturne nous fait sa jalouse,
Elle déploie de plus belle ses houleuses rondeurs
Empressée de montrer elle aussi ses bijoux,
Des planctons phosphorescents qui scintillent
Dans la vague de sillage, et même tout autour du bateau,
En milliers de particules d’une luminescence verdâtre
On dirait que la mer fait l’amour aux étoiles

Le bateau semble seul à distinguer la houle dans la nuit sans lune,
Il m’invite à jouer avec la vague que l’on parvient à deviner,
Il me guide et me cause en livrant des secrets
Dans une langue que les terriens ne savent pas,
Vibratoire et sensorielle,
Et je lui balbutie des pensées désordonnées
Comme pour mieux l’amadouer




Cette fois c’est bien sûr, il n’y a plus de doute,
Le voilier est bien un être vivant,
Mais il ne se révèle pas devant n’importe qui,
Il attend de savoir à qui il a à faire.
Il ?
Dans la langue anglaise on devrait dire « she »
Elle !
Le voilier me révèle sa féminité
Quand le vent soulève sa robe dans un bruit feutré
Et ses hanches roulent alors avec impudeur
Un être féminin dont l’élégance lui fait attendre
D’être au grand large, à mille milles de tout,
Loin du regard stressé des foules citadines
Pour me chuchoter dans sa langue secrète
Tous les mots de la beauté du monde

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