lundi 5 octobre 2009

Urgences

Urgences
Il y a parfois des moments où une sorte de sentiment d’urgence nous saisit, sans prévenir. On dirait qu’une lucidité vient de surgir au beau milieu d’une vie toute absorbée par les besognes quotidiennes et les tracas de nos vies trépidantes. Comme l’impression qu’entre deux clignements de paupières vingt années sont passées, des enfants sont devenus des adultes, des proches sont parfois disparus, le monde a changé … Et nous, que sommes nous devenus ?
Qu’avons-nous fait au milieu de cette tranche de vie aussi brève qu’un éclair ? Oh, bien des choses, souvent passionnantes, il n’est point ici question de regrets. Il ne s’agit que d’un moment de conscience aiguë où l’on se dit que d’ici au prochain clignement de paupières, on sera devenu vieux.
Jeune, on trouve l’énergie de ses projets au travers d’une projection de soi-même dans un futur, parfois – souvent ? - fantasmé. Le moteur fonctionne ainsi, avec ses capacités à absorber des surrégimes inattendus, à repartir au ralenti ou même à s’arrêter pour certaines durées, certain de pouvoir toujours repartir à la première sollicitation car le temps est encore devant, consistant et palpable et vaste comme un horizon.
Parvenu à cinquante deux ans, il n’est pas question pour moi de céder à la peur du vieillissement, celui-ci ne m’effraie pas du tout. Cependant, la prise de conscience que désormais le temps n’est plus le même allié est bien là. Elle amène la certitude qu’il n’est plus temps de rêver ses projets mais urgent de les réaliser sans attendre au risque de les voir passer à coté à cause d’une peccadille qui pourrait compromettre toute chance de reprendre le fil par la suite.
Sans gros risque de contradiction, je peux affirmer que dans vingt ans, c'est-à-dire au prochain clignement de paupières, j’aurai soixante douze ans, j’y mets ma main au feu !
Et ce n’est plus un âge où l’on peut aussi facilement tirer sur les winches d’un voilier et recevoir des embruns accroché à la barre par gros temps.
Ainsi donc une pensée raisonnable m’indique qu’il me reste probablement moins de vingt ans à naviguer au sens où je l’entends, c'est-à-dire en toute autonomie avec l’envie de « bouffer des milles ».
Comment puis-je me satisfaire de cette prise de conscience sans alors décider qu’il est temps de cesser de rêver, qu’il est temps de vivre tout de suite mes envies et plus seulement par procurations ?
Ce n’est pas l’idée de l’âge qui m’effraie, et si un quelconque Dieu me prête vie encore bien longtemps après, je sais que je saurai vivre avec d’autres rêves en tête, d’autres envies, mais celles-ci seront différentes, je peindrai sans doute plus ? Ou que sais-je encore ? J’aurai l’âge de choyer des petits enfants ? De choyer encore plus ma tendre épouse ? Mais il est une certitude et une évidence, naviguer ne pourra plus être un projet moteur, ce ne seront, s’il en reste, que des occasions d’aller parfois en mer, à un autre rythme.
Le temps du projet est bien maintenant, le moment est venu je le sais et sauf des évènements imprévisibles, nul ne m’en détournera. Je l’engage sans plus attendre le risque de n’en connaître que le regret. Ce bateau, je l’aurai.

Dominique Trutet

Ecrit le 1er juin 2008
Deux semaines après, j’ouvrais Voiles & Voiliers par la dernière page, tombais sur une annonce inespérée, et le 26 juin 2008, je concluais l’achat de mon premier voilier avec place de port !




Elixence au mouillage à Sauzon

1 commentaire:

Daniel Trutet a dit…

Bonjour Dominique,

Ton blog est super! bien que je n'ai pas encore pris le temps de tout regarder, mais on sent bien l'air, l'eau, le vent, l'espace(-temps) et on se laisse emporter au gré des courants pleins de poésie et de charme!
"L'urgence" a eu raison de te taper sur l'épaule comme pour te/nous rappeler que le temps n'attend personne. Ce train là ne s'arrête jamais. Filant à vive allure sur les rails cosmiques depuis on ne sait quelle gare pour une destination des plus inconnue. Alors il faut le prendre en marche pour aller chercher les couleurs de nos désirs...
Bises
Daniel