samedi 9 janvier 2010

Horizons

Horizons

Dans nos vies urbaines, nos environnements visuels sont prisonniers du règne de l’angle droit et de la verticalité qui réduisent nos perspectives à des proximités agressives, saillantes comme des lames de couteaux.
Ajoutant à cela la « laideur des faubourgs » (Brel dixit) dans leurs excès d’enseignes et d’affichages saturés de couleurs vives et de messages disparates, comment se projeter soi-même quand de véritables horizons visuels ne sont plus accessibles.
Je crois fermement au fait que nos constructions mentales dépendent beaucoup de nos environnements visuels, et ceux-ci que j’évoque sont souvent désormais incontournables dans nos vies dites modernes. Et si l’on peut penser que nos constructions sociétales dépendent sans doute pour bonne part de nos constructions mentales individuelles, comment ne pas en conclure qu’il y a des liens de causalité dans ce que notre modernité a de tellement écrasant.

C’est pour cela que les échappées vers de grands et lointains horizons sont indispensables à la conservation d’un mental serein.
Dans cette belle Bretagne Sud où je vais autant que possible, par exemple, j’apprécie particulièrement le Golfe du Morbihan pour la douceur de ses lignes. C’est le règne de l’horizontal, des longues perspectives ouatées qui échelonnent les lumières et les couleurs dans de vastes éloignements, depuis les verts tendres, les terre verte, les verts émeraudes ou plus profonds encore des arbres proches jusqu’aux doux pinceaux des îles qui jouent à cache-cache les unes derrière les autres comme dans un concours d’estompages de bleutés jusqu’au fond de l’horizon, alternés par les gris-vert et les outremers de la petite mer, les ocres et les terre de sienne des langues sablonneuses, les pépites d’or des ajoncs printaniers.

Souvent sur le Golfe le ciel est ensoleillé pendant qu’un ourlet de nuages dessine au-dessus de l’horizon comme une couronne tout autour de la petite mer, cette reine celtique, comme pour signifier que c’est elle qui maîtrise le dieu soleil et que les nuages et la grisaille appartiennent au monde terrien.
Dès les frimas de l’automne, les fonds des anses se peuplent des grandes familles de migrateurs, et alors les innombrables culs blancs des oies bernaches font scintiller les flaques de la marée basse pendant qu’on perçoit en tendant un peu l’oreille leurs paisibles conciliabules dans le silence cotonneux.

Baudelaire aurait pu y écrire ici son « invitation au voyage » :
« Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. »

Puis au détour des innombrables passes entre les îles, les pointes, les criques, les rocs à demi noyés, comme si on était allé perdre ses sens dans les dessous de dentelle d’une souveraine, après avoir salué l’aigrette ou le héron pêcheur, admiré le vol en majesté des ibis sacrés, ces immigrés africains qui ont élu domicile dans cet endroit qu’ils ont sûrement aimé immédiatement, on apercevra une porte ouverte sur le large, on la traversera dans les cavalcades du courant de la Jument qui donneront le tournis autant au bateau qu’à nous-mêmes, et on écarquillera les yeux sur l’immensité de l’océan qui s’ouvre devant nous, saupoudré de quelques dernières îles, Houat, Hoëdic, déposées là un peu plus loin en mer comme pour nous aider à nous souvenir de ce qu’est une terre avant la grande échappée vers l’infiniment horizontal.


Golfitude - Huile sur toile -Dominique Trutet




Holavre, vue de puis l'Ile aux Moines - Huile sur toile -

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