vendredi 29 janvier 2010

Partir

Décrocher les amarres comme on coupe un cordon
Et s’éloigner du quai sans avoir crié gare
Suivre des oiseaux blancs qui chantent à l’unisson
Dans la bave des cieux leur hymne du départ
Pendant que disparaissent les toits des maisons
Partir en se disant qu’il n’est jamais trop tard

Laisser des gens heureux bien au fond de son cœur
N’avoir d’autre maison qu’une envie d’océan
Et ne plus redouter ni tempêtes ni peurs
Se dire que plus rien ne sera comme avant
Que la vie sera faite de nouveaux labeurs
Qui consacrent les heures à glisser sous le vent

N’avoir d’autres attaches que de lointains rivages
Et se laisser porter par les douces risées
Oublier à jamais les potins du village
Ne prier qu’au milieu des nefs étoilées
Embrasser des soleils comme des heureux présages
Dans les matins de soie des mers recommencées

samedi 16 janvier 2010

La poésie

La poésie est aux mots ce que les embruns sont à la mer. Quelque chose qu’on ne peut ressentir que lorsque qu’on a envoyé les voiles et qu’on fait route, dans les imprévisibles météorologies de la langue.
Les mots, comme la mer, n’éclaboussent jamais ceux qui restent à quai sans se lancer dans le voyage. Ceux là n’en perçoivent qu’une lointaine surface onduleuse, les spectateurs des mots sont comme ces badauds assis sur un banc, ils contemplent de loin des couchers de soleil et s’en fabriquent des souvenirs au travers de leurs appareils de photographie, capturant des images mais restant immobiles.
La poésie c’est une navigation dans la houle des mots, poussée par les vents portants de la rime ou luttée à contrevents des idées, il lui faut des haubans, des focs, des misaines, des trinquettes, il faut tenir la barre, éviter les déferlantes, tenir un cap. La poésie peut-être faite de cabotages le long des berges de l’ennui, ou de grands voyages au long cours sur l’océan du spleen et alors les mots débordent des encyclopédies froides, se déversent, roulent avec les galets, s’imprègnent des odeurs d’algues de la vie.
Les mots sont les membrures de la poésie dont les vers se mesurent en pieds, comme les bateaux.

Les mots dans leurs voyages, finissent par prendre des couleurs étranges, parfois viennent de loin, de pays qu’on n’habite pas mais qu’on ne fait que traverser.
La poésie se construit avec des mots voyageurs….

samedi 9 janvier 2010

Horizons

Horizons

Dans nos vies urbaines, nos environnements visuels sont prisonniers du règne de l’angle droit et de la verticalité qui réduisent nos perspectives à des proximités agressives, saillantes comme des lames de couteaux.
Ajoutant à cela la « laideur des faubourgs » (Brel dixit) dans leurs excès d’enseignes et d’affichages saturés de couleurs vives et de messages disparates, comment se projeter soi-même quand de véritables horizons visuels ne sont plus accessibles.
Je crois fermement au fait que nos constructions mentales dépendent beaucoup de nos environnements visuels, et ceux-ci que j’évoque sont souvent désormais incontournables dans nos vies dites modernes. Et si l’on peut penser que nos constructions sociétales dépendent sans doute pour bonne part de nos constructions mentales individuelles, comment ne pas en conclure qu’il y a des liens de causalité dans ce que notre modernité a de tellement écrasant.

C’est pour cela que les échappées vers de grands et lointains horizons sont indispensables à la conservation d’un mental serein.
Dans cette belle Bretagne Sud où je vais autant que possible, par exemple, j’apprécie particulièrement le Golfe du Morbihan pour la douceur de ses lignes. C’est le règne de l’horizontal, des longues perspectives ouatées qui échelonnent les lumières et les couleurs dans de vastes éloignements, depuis les verts tendres, les terre verte, les verts émeraudes ou plus profonds encore des arbres proches jusqu’aux doux pinceaux des îles qui jouent à cache-cache les unes derrière les autres comme dans un concours d’estompages de bleutés jusqu’au fond de l’horizon, alternés par les gris-vert et les outremers de la petite mer, les ocres et les terre de sienne des langues sablonneuses, les pépites d’or des ajoncs printaniers.

Souvent sur le Golfe le ciel est ensoleillé pendant qu’un ourlet de nuages dessine au-dessus de l’horizon comme une couronne tout autour de la petite mer, cette reine celtique, comme pour signifier que c’est elle qui maîtrise le dieu soleil et que les nuages et la grisaille appartiennent au monde terrien.
Dès les frimas de l’automne, les fonds des anses se peuplent des grandes familles de migrateurs, et alors les innombrables culs blancs des oies bernaches font scintiller les flaques de la marée basse pendant qu’on perçoit en tendant un peu l’oreille leurs paisibles conciliabules dans le silence cotonneux.

Baudelaire aurait pu y écrire ici son « invitation au voyage » :
« Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. »

Puis au détour des innombrables passes entre les îles, les pointes, les criques, les rocs à demi noyés, comme si on était allé perdre ses sens dans les dessous de dentelle d’une souveraine, après avoir salué l’aigrette ou le héron pêcheur, admiré le vol en majesté des ibis sacrés, ces immigrés africains qui ont élu domicile dans cet endroit qu’ils ont sûrement aimé immédiatement, on apercevra une porte ouverte sur le large, on la traversera dans les cavalcades du courant de la Jument qui donneront le tournis autant au bateau qu’à nous-mêmes, et on écarquillera les yeux sur l’immensité de l’océan qui s’ouvre devant nous, saupoudré de quelques dernières îles, Houat, Hoëdic, déposées là un peu plus loin en mer comme pour nous aider à nous souvenir de ce qu’est une terre avant la grande échappée vers l’infiniment horizontal.


Golfitude - Huile sur toile -Dominique Trutet




Holavre, vue de puis l'Ile aux Moines - Huile sur toile -